Il est un peu plus de 07 heures du matin, cela fait plusieurs jours qu’il fait trop frais pour la saison, presque froid.
Le ciel est gris, tous les nuages ont décidés de tenir une réunion au-dessus de nos têtes, ici et pas ailleurs.
Dans la petite voiture qui m’emmène au boulot, entre de trop nombreuses publicités criardes et débiles qui toutes nous promettent beaucoup de bonheur, Classic 21 diffuse quelques bons titres qui libèrent dans mon cerveau agité une bonne dose de dopamine, me faisant imaginer une future journée de winner.
Le problème c’est que je réfléchis trop, je scrute trop, j’analyse trop, je démonte trop.
Faut dire qu’il y a bien longtemps que je n’avais pas pris la route de si bon matin pour aller bosser.
Cela faisait des années que je travaillais chez moi et puis les circonstances de la vie qui viennent tout chambouler et me voilà, comme des millions de semblables, projeté sur le bitume.
Et là, comme un grand vertige, un malaise, une collision frontale avec la réalité, tout en conduisant je ressens brutalement toute la folie du système.
Sur la portion d’autoroute que j’emprunte, un trajet de +/- 30 minutes, nous sommes des milliers à rouler sur trois bandes saturées et cela dans les deux sens de circulation.
C’est un flot ininterrompu de voitures, de véhicules utilitaires et de camions remplis de marchandises destinées à alimenter le système qui ne peut s’arrêter.
Toutes et tous filent vers leur destination, leur destin. Tous ces êtres coincés dans des boîtes qui pèsent des centaines de kilos ou des tonnes, majoritairement seuls. Un troupeau.
Et ça roule vite, trop vite.
Il faut être d’une extrême vigilance, concentré, avoir les yeux partout, être prêt à tout moment à agir pour sauver sa peau alors que nous sommes coincés, comme sur des rails invisibles.
Il faut s’imposer, ne pas se laisser intimider par les comportements de tous ces salauds assassins et égoïstes qui dans leur grosse bagnole, symbole de puissance et d’égo, se permettent de mettre la pression sur les petits véhicules moins rapides.
Ces salopards vous collent, vous poussent parce que la route est à eux et rien qu’à eux, parce qu’ils sont importants, ils sont pressés, ils ont des rendez-vous qui comptent, ils n’ont pas de temps à perdre, la voie leur appartient et vous n’avez rien à faire devant eux, vous êtes un obstacle à leur succès, à leur gloire.
La route est le strict reflet du comportement humain : les puissants écrasent les faibles, comme un droit naturel.
Il y a sur les route plus d’un meurtrier en puissance.
Et dans cette course folle, où chaque jour qui passe des millions et des millions de personnes se déplacent dans un tourbillon incessant, je mesure l’impasse dans laquelle nous nous trouvons.
Parce que l’ensemble de nos modes de fonctionnement, nos chaînes d’approvisionnement, nos déplacements, ne fut-ce que pour « gagner notre croûte », nos loisirs, tout ce qui constitue notre vie passe majoritairement encore et toujours par la route et son hideux bitume.
Je le reconnais, j’use de ce système et j’en bénéficie largement et d’ailleurs, sans lui comment pourrais-je vivre, voire même survivre ?
Ce mode de vie presque totalitaire, où les possibilités de vivre autrement sont réduites à d’infimes pistes, produit des effets très néfastes : une pollution qui engendre des milliers de morts et de blessés à travers le monde, la production massive de gaz à effets de serre contribuant largement au réchauffement climatique, une pollution sonore, une congestion de plus en plus forte des routes et des villes rendant les déplacements de plus en plus difficiles avec des temps de trajets de plus en plus longs, des milliers de blessés et de morts, une bétonisation et une bitumisation effrénées pour toujours plus de parkings et toujours plus de routes, une omnipotence dangereuse à l’égard des usagers faibles comme les piétons et les cyclistes qui dans bien de lieux n’ont simplement plus le droit d’exister, d’avoir leur place.
• Pouvons-nous envisager de sortir de cette addiction, de ce système ?
• Pouvons-nous seulement imaginer de vivre autrement ?
Dans une étude de 2017 publiée par le Service public fédéral Mobilité des Transports (pour la seule petite Belgique…) on découvre ces chiffres implacables :
• Transports des personnes par la route : 81 %
• Transports de marchandises par la route :73 %
• Habitudes de mobilité : 73 % via la route
• Evolution du parc de véhicules à moteur :
– Voitures personnelles : 4 993 40 en 2006 et 5 798 628 en 2017
– Camions : 105 928 en 2006 et 9670 en 2017
– Véhicules utilitaires légers : 524 661 en 2006 et… 741 015 en 2017
• Evolution du nombre de voitures-salaires (voiture de société mise par les employeurs à la disposition de certains de leurs travailleurs et que ceux-ci peuvent utiliser à des fins autres que professionnelles (déplacements domicile-travail et tout autre usage privé ou transport collectif éventuel de travailleurs) : 288 679 en 2007 contre… 465 338 en 2017.
• Environnement : 23 % d’émissions de C02 (1/4 des émissions…) sont causés par les transports.
Nous pouvons ajouter à cette consommation massive d’énergies fossiles que dans le même temps le transport aérien de voyageurs est passé d’un peu plus de 10 millions en 1994 à pratiquement 35 millions en 2017, tandis que le fret est passé de 600 000 tonnes en 2001 à plus de 1 200 000 tonnes en 2017.
Une lumière dans la nuit… le rail et les voies navigables qui permettent notamment de réduire l’engorgement sur les routes effectuent une belle progression, surtout au niveau du rail puisque les chiffres de la navigation fluviale auraient tendance à stagner.
Addiction et dépendance
Je répète ces questions :
• Pouvons-nous envisager de sortir de cette addiction, de ce système ?
• Pouvons-nous seulement imaginer de vivre autrement ?
A la lecture de ces quelques chiffres « made in Belgium », que l’on peut dans une extrapolation raisonnable projeter sur l’ensemble de notre monde, je ne vois pas d’issue.
Le système est cadenassé à un tel point de non-retour que nous pouvons presque envisager cela comme une perte définitive de liberté, la liberté de vivre autrement, comme un piège qui s’est refermé, une servitude volontaire.
Et puisqu’aujourd’hui il semble impossible de vivre autrement (y compris pour l’écologiste que je suis), comment pouvons-nous faire pour tenter de modifier malgré tout quelque peu cette folle trajectoire ?
L’essence et le diesel sont à moyen terme condamnés à disparaître, tant mieux.
Les Etats et plus particulièrement ceux où se trouvent des mégapoles, ont pris la mesure du risque sanitaire qu’engendrent ces énergies dévastatrices pour la santé et pour l’environnement.
De plus, comme toutes les ressources naturelles, elles ne sont pas inépuisables et le temps de leur déclin a déjà sonné depuis plusieurs années.
Alors quoi ?
Les voitures électriques !
La voilà LA solution qui va tout arranger, qui va nous délivrer, qui va modifier le cours de l’Histoire, qui va nous rendre enfin libre.
« Ma voiture, ma liberté ! » ce vieux slogan des prédicateurs en marketing va enfin se concrétiser.
Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle ère pleine de promesses enchanteresses ?
Oui mais…
D’un point de vue de la mobilité et de l’engorgement de nos routes, la voiture électrique n’apportera aucune solution, rien, nada.
Nous continuerons donc à mourir sur les routes, à nous battre sur les parkings et les utilisateurs plus faibles subiront toujours l’agression des puissants. Au pays des cons, rien de neuf.
D’un point de vue environnemental et santé publique : quoi de neuf ?
S’il est vrai que les véhicules électriques n’émettent aucune émission de C02 ce qui est positif, affirmer comme un mantra que les véhicules électriques sont des véhicules propres est soit un mensonge soit une croyance basée sur une ignorance crasse.
Un véhicule propre, cela n’existe pas !
Les procédés de fabrication et l’ensemble des éléments qui composent le véhicule exigent nécessairement une consommation de diverses énergies mais aussi l’utilisation de matériaux issus de l’extraction et de la chimie, pour ne citer que ces deux exemples.
Qui dit « électrique » dit production et stockage de l’électricité.
L’électricité n’existe pas à l’état naturel, elle doit toujours être produite par une autre énergie : fossile, nucléaire ou renouvelable.
Quant à son stockage nous ne pouvons pas nous passer de batteries.
Ah… les batteries… que nous retrouvons déjà par millions dans nos portables, tablettes, ordinateurs, smartphones et maintenant dans les véhicules électriques et pas uniquement dans les voitures, il y a aussi désormais les vélos, trottinettes et monocycles.
Ces batteries sont des batteries au lithium-ion.
Le lithium est une ressource naturelle (forcément épuisable) que l’on doit extraire du sol par des procédés énergivores (encore…) qui provoquent comme toutes extractions des dégâts sur l’environnement et les populations qui vivent (ou qui y vivaient…) dans ces régions désormais exploitées comme le nouvel eldorado avec tout ce que cela comporte comme dérives.
Je vous invite à lire le reportage de Reporterre « Corruption, pollution, consommation : les ravages du lithium en Argentine », édifiant.
Et le recyclage ?
Aujourd’hui, une filière du recyclage de ce type de batterie se met lentement en place mais ce secteur n’est pas encore prêt et reste anecdotique. L’offre n’est pas encore suffisante et les investissements à concéder pour leur mise en œuvre sont considérables alors que les prévisions des ventes de véhicules électriques annoncent une progression fulgurante.
Les Etats (donc chacun d’entre nous) devront mettre la main à la poche pour aider ce secteur sous peine de très vite crouler sous des montagnes de batteries inutilisables avec tous les risques sanitaires que cela comporte.
Etats qui face à la perte des accises sur les carburants fossiles devront trouver un moyen pour palier à ce manque à gagner colossal.
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